Le Yukon, pour certains c’est un nom entendu quelque part il
y a très longtemps et associé à l’Alaska (si vous saviez le nombre de Canadiens
qui m’ont demandé si ce n’est pas en Alaska le Yukon), pour d’autres c’est un
territoire légendaire où des histoires les plus extraordinaires les unes que
les autres se sont déroulées, et d’autres n’ont jamais entendu parler du Yukon
du tout. J’étais dans la deuxième catégorie de personnes et je m’attendais à ce
que la réalité présente du Yukon n’ait plus grand-chose à voir avec ce Yukon
légendaire. Le Yukon du Klondike, le Yukon de la grande ruée vers l’or de
1897-1898, celui où les hommes ont bravés l’un des climats les plus extrêmes par
milliers pour trouver de l’or sur une terre encore complètement sauvage. Le
Yukon où le célèbre Mad Trapper s’est fait dynamiter par la RCMP et s’est
enfuit comme si de rien était, où les dance-hall girls se faisaient marier
contre leur poids en or, où des hommes devenaient millionnaires en l’espace d’une
nuit, pour ensuite mourir dans la misère et la folie le surlendemain, où Jack
London a trouvé son inspiration pour écrire des histoires telles que Croc Blanc
et où les huskies sont plus nombreux que les hommes. Eh bien, après ces 4 mois
passés à voyager, vivre et travailler au Yukon, laissez-moi vous dire que j’avais
tort ! Le Yukon c’est encore tout cela et plus encore !
Après être retournée à Whitehorse à la fin de mon grand
voyage, j’ai tout de suite commencé à travailler le lendemain de mon retour. L’entretien
que j’avais passé juste avant notre départ pour le Dempster avait porté ses
fruits et j’ai eu un emploi avec une compagnie d’exploration. D’exploration ?
Oui, d’exploration, comme dans chercher de l’or, parce que la ruée vers l’or
revit au Yukon ! Cette première journée n’était qu’une formation pour me
familiariser avec toutes les règles et les questions de sécurité. On m’a mise
devant un documentaire sur les ours pendant 1h30 et ensuite on m’a emmené dans
un terrain vague pour que je me pratique à tirer des « bear bangers ».
C’était un lundi et j’allais partir le jeudi matin pour mon premier contrat. J’avais
deux jours pour me trouver un logement dans une ville en pleine crise du
logement, pour m’acheter tout l’équipement dont j’avais besoin et pour remettre
un peu de mon voyage !
Jeudi, le 1er septembre j’ai pris la route avec
trois coéquipiers pour aller à la mine Minto, une grande mine à ciel ouvert. On
allait être installés dans le camp de la mine et faire de l’exploration
géophysique sur les montagnes environnantes. Pour accéder à la mine, située un
peu en plein milieu de nulle part, on a dû traverser la Yukon River avec une
petite barge et de l’autre côté, il fallait se plier à tous les règlements de
sécurité de la mine (rouler avec un drapeau et un gyrophare sur le toit du
pickup et signaler notre présence par la radio tous les kilomètres). Dans le
camp, un gros camp avec tout ce qu’il fallait (internet, douches, cantine,
etc.), on a commencé par devoir subir la formation de sécurité de la mine.
Bref, plein de règles et de restrictions… On allait passer une semaine là et
notre travail consistait à envoyer de l’électricité dans le sol et à mesurer la
conductivité et la chargeabilité du sol pour déterminer s’il y a de l’or ou du
cuivre dans le sol. En gros, je me promenais à travers le bush avec un sac
plein de gros câbles qu’il fallait que je pose en ligne droite sur 400 mètres.
Les câbles étaient lourds et si vous savez à quel point ça peut être chiant de
devoir marcher à travers des saules ou des aulnes, imaginez-vous faire ça avec
un gros sac super lourd et un câble de 50 mètres dans les mains qui reste
accroché dans toutes les branches. Et tout ça en montagne ! Croyez-moi, je
regrettais amèrement les plaines de l’Abitibi ! Le travail était dur et on
travaillait de 10 à 12 heures par jour et quand on ne travaillait pas, je ne
pouvais faire qu’une chose : dormir ! Heureusement, mes coéquipiers
étaient vraiment super et on s’est beaucoup amusés pendant cette semaine !
Peu de temps après, le 16 septembre, je suis partie pour mon
deuxième contrat. On m’avait dit que ce travail serait « nice, easy and
comfortable », retenez bien ces mots ! On est d’abord partis à deux en
camion, avec une grosse remorque pleine de matériel pour aller à Brewery Creek,
à l’est du Dempster Highway. On est arrivés au camp de la mine (un camp bien
plus rustique, constitué de tentes et d’un seul bâtiment fixe) assez tard et
là-bas, ils devaient nous indiquer comment se rendre sur notre « grid »
(la zone où on allait travailler), mais personne ne savait exactement comment s’y
rendre. On a réussi à trouver notre chemin, mais je vous assure qu’on a eu la
surprise ! A Whitehorse on nous avait dit qu’on travaillerai sur un terrain
plat, mais une fois passé le camp de la mine, on est arrivés sur du terrain on
ne peut plus accidenté ! C’est à peine si notre pick-up arrivait à monter les
pentes abruptes ! Arrivés au sommet d’une montagne qui était au milieu de notre
grid, on a commencé à monter notre camp. Je n’avais jamais monté un tel camp et
on n’était qu’à deux, alors ça n’allait pas très vite ! Heureusement, on a tout
fini avant la tombée de la nuit. On allait passer les cinq premiers jours à
deux uniquement et notre camp était à 45 minutes de chemin extrêmement
cabosseux et difficile du camp de la mine. La vue du sommet de notre montagne
était absolument magnifique, mais je peux vous dire que les premières journées
étaient une sacré aventure ! Première nuit : on se fait enfumer par le
poêle à bois, je pense aux ours tout le temps et on n’a pas de nourriture.
Deuxième nuit : c’est le sauna dans la tente, je pense encore aux ours,
notre camion se brise et notre gazinière de marche pas et il faut cuisiner sur
un feu de camp (vous avez déjà fait des steaks médium-saignant sur un feu de
camp ? je vous garantis que ça vous met la pression !). Troisième nuit `la
cheminée du poêle prend feu et fait presque flamber la tente. Quatrième nuit :
une tempête fait s’envoler la tente dans laquelle on est en train de dormir. On
a ramassé et replacé la tente dans la noirceur absolue et il ventait encore,
alors on a passé la nuit à tenir les poles de la tente. Cinquième nuit :
on dort enfin un peu !
Au bout de ces cinq jours, on a enfin eu des renforts, la
gestion de crise allait se faire bien plus facilement à quatre ! Et puis en
plus de tout ça, il y avait les corvées de camp normales (couper du bois,
bruler les déchets, cuisiner et faire la vaisselle, etc.) et 10 heures de
travail de terrain par jour ! Ah, et qu’est-ce qu’on faisait ? Du line-cutting
! On devait couper 11 lignes de 1.8 km de long à travers la forêt. Mon
coéquipier était coupeur, c’est lui qui maniait la scie à chaîne. Moi j’étais « brusher »,
je transportais tout notre matériel (bouffe, vêtements, essence, outils),
mettais en place des piquets sur la ligne pour que le coupeur puisse couper en
ligne droite et je « brushais » (ramasser les branches, couper tout
ce qui reste à l’aide d’une machette ou d’une espèce de hache). Ce travail
était extrêmement physique, surtout dans ces montagnes (par endroit on avait
des pentes de près de 45°). Et très rapidement, la neige est arrivée, avec de
la grêle et du brouillard à volonté. On glissait sur les pentes, dans le camp
notre bouffe et notre eau gelait et mes fesses gelaient aussi avec nos « toilettes »
en plein air ! Entre temps, on avait baptisé notre montagne, le Mt Doom et le
nom était amplement mérité ! Lorsque les conditions ont fini par devenir trop
extrêmes, on a enfin été autorisés à résider dans le camp de la mine. Mais pour
ça, il fallait qu’on fasse le trajet da camp à notre grid matin et soir en quad
à des températures largement en-dessous de 0°C. Quand on rentrait au camp le
soir, je restais plantée à côté du poêle jusqu’à l’heure du souper !
En tout, j’ai passé quatre semaines à Brewery Creek. J’étais
celle qui y est resté le plus longtemps, plusieurs membres de l’équipe étaient
partis au bout de deux semaines. Les gens de la mine étaient étonnés de voir
une femme faire du brushing et j’ai reçu mon « bushname » : Red
Fang. Au bout de 10 jours là-bas, la folie du bush m’avait prise : d’abord
j’ai passé plusieurs jours à être crampée de rire tout le temps, pour rien;
ensuite c’était le désespoir, je ne faisais que pleurer; et finalement j’étais
rendue bipolaire ! Aussi les deux dernières semaines, mes genoux me faisaient
de plus en plus souffrir et j’ai fini par comprendre le Dr. House. C’est pas
facile de rester poli et de bonne humeur quand on a mal tout le temps ! Pour ce
qui est de la faune, on a eu une rencontre surréaliste avec un gros orignal qui
est apparu de la brume un jour, juste devant nous. Il a failli nous charger,
mais il a senti notre odeur d’humains juste à temps ! On a vu bon nombre de
porc-épics obèses et de renards. Renards qui d’ailleurs nous ont bien embêtés !
Ils venaient dans le camp de la mine sans peur et la nuit, partaient avec les
rallonges électriques, nous laissant dans le noir. On leur courait après en
lançant des bottes pour récupérer nos rallonges ! Un coyote est venu hurler à côté
de moi le dernier jour, comme pour dire adieux à Red Fang. Ces quatre semaines
avaient été extrêmes, mais emplies de tant de beauté ! Les montagnes, le soleil
du nord, les animaux, les aurores boréales… Tout cela et l’expérience valaient
amplement la peine et la folie et la douleur physique !
Après ce contrat, j’ai passé deux semaines à me reposer et à
soigner mes genoux, et finalement, le 26 octobre je suis retournée sur le
terrain ! Et cette fois-ci ça allait vraiment être « nice, easy, and
comfortable ». On allait faire de la géophysique dans les montagnes au
nord de Faro. On était logés dans un B&B super confortable et on allait en
hélicoptère sur notre site ! Les journées étaient courtes à cause de la
lumière, mais aussi de la météo. Dès qu’il faisait trop mauvais pour l’hélicoptère,
on commençait plus tard ou on finissait plus tôt. Parfois, on passait même des
journées entières au B&B à se tourner les pouces à cause de la météo ! Les
vols en hélicoptère étaient incroyables ! Les montagnes, les lever de soleil
vus du ciel, passer en rase-motte au-dessus d’une falaise… Et il y a eu la
journée où notre pilote est venu nous sauver : une tempête arrivait très
vite, nous on ne l’a pas vu venir quand soudain le pilote nous appelait sur nos
radios pour nous dire de courir au plus vite vers une surface dégagé pour qu’il
puisse nous ramasser. Il était venu juste à temps, parce qu’en retournant vers
l’aéroport on ne voyait pas grand-chose et on se faisait brasser dans tous les
sens ! Certaines journées, le froid était extrême au sommet de notre montagne
(avec le vent de l’hélico en plus) et la neige était déjà très profonde. Mais
les paysages étaient magnifiques et on se faisait un feu quand le froid
devenait trop extrême !
Travailler au Yukon m’a appris bien des choses et m’a montré
que la ruée vers l’or, ce n’est pas du passé ! J’ai appris à monter un camp d’exploration,
à tirer au fusil, à conduire des quads, à manier la hache, à préparer des
chargements pour hélico et à réparer des générateurs, des poêles à mazout et
des scies à chaîne. D’ici quelques jours, je vous en dirai plus sur la vie dans
cette région extraordinaire !
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